Jean Cocteau, 1916
Le portrait de Jean Cocteau par Modigliani semble avoir été peint dans le cadre d’une compétition amicale entre Modigliani et le peintre d’origine polonaise Moise Kisling. Pablo Picasso avait amené son ami Cocteau à l’atelier de Kisling pour le présenter à un groupe d’artistes et de poètes qui s’y réunissait. Bien que les détails de l’histoire ne soient pas connus, au final, Modigliani et Kisling finirent tous les deux par faire le portrait du jeune poète. Plusieurs de leurs amis étaient dans l’assistance quand les deux peintres se mirent au travail. Il semblerait que Modigliani, éternellement fauché, ait utilisé une toile de Kisling. En effet, une radiographie du tableau révèle, sous le portrait de Modigliani, un autoportrait de Kisling avec sa femme Renée et leur chien.
Conservatrice Betsy Rosasco :
En 1950, bien après que le portrait, que Cocteau avait payé mais laissé derrière lui, fut devenu célèbre et vendu pour ce qui était à l’époque une somme considérable, Cocteau écrivit dans sa monographie sur Modigliani : « [il] n’allonge pas les visages, il n’accentue pas leur asymétrie, il n’éteint pas l’œil, il ne prolonge pas le cou. Tout est organisé ». Peut-être était-ce la façon ironique qu’eût Cocteau de se venger, en pointant du doigt les traits stylistiques mis en œuvre par Modigliani dans son portrait, que Cocteau avait inclus dans la monographie avec une sélection de portraits de Modigliani tous beaux mais quelque peu fades, comme il s’était attendu à ce que le soit le sien. Il est également ironique que le portrait de Cocteau par Modigliani, si impitoyable dans sa pénétration psychologique de l’autosatisfaction et de la vanité de l’élégant modèle, soit devenu le chef-d’œuvre du peintre. Le poète Pierre Reverdy, qui était présent lors de la séance de pose se rappelle cinquante ans plus tard que Modigliani était le seul portraitiste de l’époque avec « une vocation, du sérieux et du talent » mais il ne flatta pas Reverdy, dont il peignit le portrait, ou qui que ce soit.